Médecins généralistes et gynécologues : une difficile articulation
Résumé
Les parcours de soins en gynécologie et en périnatalité requièrent l’articulation et la coordination des différents services et professionnels intervenant auprès des femmes concernées. Nous nous attarderons ici sur les interactions entre médecins. Les uns exercent en libéral et sont généralistes, les autres sont gynécologues, libéraux ou hospitaliers. Nous commencerons par décrire les modes d’adressage et d’orientation des patientes mis en œuvre par les uns et les autres et poursuivrons par l'évocation de leurs modes de faire en matière de communication et d’échange d’informations autour de la prise en charge des patientes communes. Nous restituerons la teneur des perceptions et les jugements des uns à l’égard des autres, tout en pointant les effets de ces représentations sur les pratiques de ces professionnels.
Au fil des nombreux entretiens réalisés tout récemment avec des médecins généralistes, nous avons pu vérifier que le suivi gynécologique, et plus encore le suivi de grossesse, ne constituent qu’une part limitée de leur activité globale. De fait, ces médecins ont régulièrement tendance à orienter les femmes de leur patientèle vers des spécialistes en gynécologie. Nous identifierons les freins à la réalisation du tels suivis, qui tiennent principalement à leur manque de formation et de pratique dans ce domaine, et aussi, mais les deux sont liés, à l’absence ou à la faible demande des femmes. Nous évoquerons aussi ce qui, à leurs yeux, entrave leur pratique de l’accompagnement des grossesses : ni plus ni moins le détournement de leurs patientes enceintes par les gynécologues, en particulier hospitaliers. Nous mettrons l’accent sur les échanges limités et compliqués entre ces médecins, qui sont autant de limites à leur coopération et sur le fait que l’on a bien affaire à des gynécologues dominants et à des généralistes dominés, même si, d’un prime abord, les premiers ne manquent pas de louer les qualités des seconds avant que les discours flatteurs laissent place à des propos mettant l’accent, en contrepoint, sur la limite des compétences des généralistes dans le domaine de la gynécologie et de l’obstétrique.
Nous repérerons, ce faisant, les enjeux de toutes les interactions entre ces deux métiers. Nous expliquerons pourquoi est centrale la mobilisation du risque dans le processus de distinction des professions de médecin généraliste et de gynécologue-obstétricien et pourquoi aussi, dans ces conditions, le « bon généraliste » est, aux yeux des gynécologues, celui qui accepte de passer le relais au spécialiste et sait le faire au moment opportun, en l’occurrence, le plus tôt possible dans le parcours de soins des femmes. Ces perceptions, sous-tendues par un sentiment d’autorité et de supériorité s’exprimerons à travers la satisfaction – empreinte d’une certaine condescendance – à donner son avis de spécialiste et à inviter le généraliste à adresser ses patientes vers soi : le médecin généraliste fera alors figure de candide et de disciple voire, entre regret et amertume, sera amené à abandonner toute activité de suivi de grossesse...
Au-delà de nos nombreuses publications sur le sujet, nous nous baserons ici sur le rapport remis en 2021 à l’Observatoire national de la démographe des professions de santé (ONDPS) intitulé « La sage-femme, le généraliste et le gynécologue : les enjeux des relations entre des métiers en tension ». Les résultats présentés sont issus notamment de l'analyse de contenu d'un corpus d'entretiens réalisés avec 26 médecins généralistes, gynécologues-obstétriciens et gynécologues médicaux en exercice - libéral ou salarié - dans différentes régions françaises.